Ce village du Jura, aux couleurs des Caraïbes, cache une cité engloutie qui réapparaît lors des grandes sécheresses (Lac de Vouglans)

Ce village du Jura, aux couleurs des Caraïbes, cache une cité engloutie qui réapparaît lors des grandes sécheresses

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Rédigé par Amélie

4 novembre 2025

Au cœur du massif du Jura, une étendue d’eau aux reflets d’émeraude et de turquoise évoque des paysages lointains et exotiques. Pourtant, ce décor de carte postale, sculpté par la main de l’homme, dissimule une histoire profonde et mélancolique. Sous la surface scintillante du lac de Vouglans, des villages entiers et des monuments séculaires dorment, attendant que les caprices du climat les ramènent, le temps d’un été, à la lumière du jour. C’est le récit d’une France rurale sacrifiée sur l’autel du progrès, dont les fantômes réapparaissent pour témoigner d’un monde disparu.

Le charme tropical du Jura : entre lacs et montagnes

Un paysage inattendu en Franche-Comté

Le Jura est plus souvent associé à ses forêts de sapins denses, ses reliefs escarpés et ses hivers rigoureux qu’à des lagons tropicaux. Pourtant, le lac de Vouglans offre un contraste saisissant. Ses trente-cinq kilomètres de long serpentent entre des falaises calcaires abruptes, couvertes d’une végétation luxuriante. La couleur de l’eau, oscillant entre le vert émeraude et le bleu turquoise, est si intense qu’elle transporte le visiteur à des milliers de kilomètres, quelque part dans les Caraïbes. Ce spectacle visuel est le fruit d’une alchimie naturelle unique, qui fait du lac une anomalie géographique fascinante et une destination prisée des photographes et des amoureux de la nature.

La géologie et la couleur de l’eau

Cette teinte si particulière n’est pas le fruit du hasard. Elle s’explique par la composition géologique des fonds du lac. Le lit de la rivière d’Ain, qui alimente la retenue, est constitué de marnes et de calcaires clairs datant du jurassique. Ces sédiments, très peu fertiles, empêchent le développement massif de plancton et d’algues. L’eau reste donc exceptionnellement claire et pure. La lumière du soleil, en pénétrant dans cette eau limpide, est réfléchie par le fond calcaire, créant ces nuances spectaculaires de bleu et de vert qui ont fait la renommée du site.

Une biodiversité riche et préservée

L’environnement du lac, intégré au parc naturel régional du Haut-Jura, abrite un écosystème remarquable. Les forêts qui le bordent sont le refuge de nombreux mammifères, tandis que les falaises accueillent des oiseaux emblématiques comme le faucon pèlerin. Les eaux du lac, quant à elles, sont réputées pour leur richesse piscicole, faisant le bonheur des pêcheurs. On y trouve une grande variété d’espèces, des plus communes aux plus recherchées.

Principales espèces de poissons du lac de Vouglans

EspèceTypeIntérêt pour la pêche
BrochetCarnassierTrès élevé
SandreCarnassierÉlevé
CorégoneSalmonidéSpécifique et recherché
CarpeCyprinidéPopulaire (pêche de nuit)

Cette nature grandiose et cette couleur irréelle ne sont cependant pas entièrement l’œuvre de la nature. Elles sont la conséquence directe d’un projet industriel colossal qui a profondément et durablement transformé le paysage et la vie des habitants de la vallée.

Le lac de Vouglans, une perle aux couleurs des Caraïbes

La naissance d’un géant : le barrage de Vouglans

Le lac de Vouglans est la troisième plus grande retenue artificielle de France. Sa création résulte de la construction, entre 1963 et 1968, d’un barrage hydroélectrique monumental sur la rivière d’Ain. Cet ouvrage en béton, une voûte mince de 130 mètres de haut, a nécessité des années de travaux titanesques. La mise en eau, achevée en 1970, a noyé la vallée sur près de 35 kilomètres, engloutissant terres agricoles, routes, ponts et hameaux, et créant ce plan d’eau de plus de 600 millions de mètres cubes.

Trois zones, trois ambiances

Pour concilier les différents usages et préserver la quiétude du site, le lac a été divisé en trois zones distinctes, chacune avec sa propre réglementation. Cette organisation permet une cohabitation harmonieuse entre les différentes activités :

  • La zone A, au nord : réservée à la pêche et à la navigation à moteur électrique, c’est la partie la plus sauvage et la plus calme du lac.
  • La zone B, au centre : autorisée aux sports motonautiques comme le ski nautique et le jet-ski, c’est le cœur dynamique et sportif du lac.
  • La zone C, au sud : près du barrage, elle est dédiée à la voile, à l’aviron et aux embarcations légères, offrant un vaste plan d’eau pour la navigation.
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Un miroir d’émeraude

Au-delà de sa fonction énergétique et récréative, le lac est avant tout un élément paysager d’une beauté exceptionnelle. Son immensité et la pureté de ses eaux en font un véritable miroir où se reflètent les falaises boisées et le ciel changeant du Jura. Chaque heure du jour, chaque saison, offre une palette de couleurs différente, faisant du lac un spectacle permanent. C’est cette dimension esthétique qui attire les visiteurs en quête de dépaysement et de contemplation.

Si la surface du lac est aujourd’hui un lieu de vie et de loisirs, ses profondeurs silencieuses gardent la mémoire d’un patrimoine architectural et spirituel sacrifié, dont l’histoire est aussi fascinante que tragique.

Les vestiges engloutis de la chartreuse de Vaucluse : un trésor historique

Un monastère chargé d’histoire

Avant que les eaux ne recouvrent la vallée, se dressait un monument d’une grande importance historique et spirituelle : la chartreuse de Vaucluse. Fondé au XIIe siècle, ce monastère a été pendant plus de huit siècles un centre religieux et économique majeur pour la région. Ses bâtiments, maintes fois remaniés, témoignaient de cette longue histoire. L’ensemble comprenait une église, un cloître, des cellules de moines et de vastes dépendances agricoles. C’était l’un des plus importants sites monastiques de Franche-Comté.

Le sacrifice d’un patrimoine

La décision de construire le barrage et de noyer la vallée a signé l’arrêt de mort de la chartreuse. Malgré les protestations et les tentatives de sauvetage, le sort du monument était scellé. Conscient de la perte irréparable, l’État a financé une opération de sauvetage partiel. Des éléments architecturaux remarquables, comme le portail de l’église, des fontaines et des boiseries, ont été démontés pierre par pierre avant la mise en eau. Ils ont été réinstallés dans d’autres lieux, notamment dans le village voisin de Morez, pour en conserver le souvenir.

Ce qui repose sous les eaux

Aujourd’hui, les ruines de la chartreuse reposent à près de cinquante mètres de profondeur. Les murs d’enceinte, les fondations des bâtiments et les caves voûtées forment une silhouette spectrale au fond du lac. Le site est accessible aux plongeurs expérimentés, qui peuvent explorer ce patrimoine englouti lorsque la visibilité le permet. C’est une plongée émouvante dans le temps, à la découverte d’un trésor silencieux que la nature a lentement reconquis.

La chartreuse n’est pas le seul vestige que les eaux ont englouti. Des communautés entières ont été déplacées, et leurs maisons, leurs fermes et leurs souvenirs ont été submergés. Parfois, à la faveur d’événements climatiques extrêmes, ces souvenirs refont surface de manière spectaculaire.

Grandes sécheresses : l’apparition mystérieuse de la cité fantôme

Quand le lac révèle ses secrets

Le niveau du lac de Vouglans est géré par EDF pour la production d’électricité, mais il est aussi fortement influencé par la pluviométrie. Lors des épisodes de sécheresse prolongée, comme ceux que la France a connus ces dernières années, le niveau de la retenue peut baisser de manière drastique, parfois de plus de quinze ou vingt mètres. Ce phénomène, bien qu’inquiétant sur le plan écologique, offre un spectacle saisissant : les vestiges des hameaux engloutis émergent des eaux.

Les ruines de Brillat : un témoignage poignant

Le hameau le plus emblématique à réapparaître est celui de Brillat. Lorsque les eaux se retirent, on voit se dessiner les fondations des anciennes maisons, les murets de pierre qui délimitaient les parcelles, et même l’ancien pont qui enjambait l’Ain. C’est un paysage lunaire et fantomatique qui se dévoile, couvert de limon séché et de coquillages. Un puits de ferme, presque intact, est souvent le premier à refaire surface, devenant le symbole de cette vie passée. Récemment, un seau a même été retrouvé dans ce puits, un objet du quotidien qui ancre cette histoire dans une réalité humaine tangible.

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Un pèlerinage pour la mémoire

Chaque apparition du village fantôme attire de nombreux curieux, mais surtout les anciens habitants et leurs descendants. Pour eux, c’est un véritable pèlerinage. Marcher sur ces terres qu’ils ont dû abandonner des décennies plus tôt est un moment chargé d’émotion. C’est l’occasion de retrouver l’emplacement de sa maison, de son jardin, et de partager des souvenirs avec les plus jeunes. Ces réapparitions sont une cicatrice visible du sacrifice consenti et un puissant rappel de la fragilité de nos paysages face aux grands projets humains et aux changements climatiques.

Si ce spectacle historique et mélancolique constitue une attraction unique, le lac de Vouglans est avant tout, pour la plupart des visiteurs, une destination de loisirs dynamique et un terrain de jeu exceptionnel.

Activités autour du lac : sports nautiques et détente

Un paradis pour les amateurs de sports d’eau

Avec ses 35 kilomètres de long et ses eaux pures, le lac de Vouglans est un lieu idéal pour la pratique de nombreuses activités nautiques. Les trois ports de plaisance et les plages aménagées permettent d’accueillir tous les publics, des sportifs confirmés aux familles en quête de baignade. L’offre est variée et complète :

  • Navigation : voile, dériveur, catamaran, planche à voile.
  • Sports de glisse : ski nautique, wakeboard, bouée tractée.
  • Embarcations légères : canoë-kayak, aviron, stand-up paddle.
  • Pêche : du bord ou en barque, pour attraper les carnassiers et autres poissons du lac.
  • Baignade : trois plages surveillées en été (Mercantine, Surchauffant, Bellecin) offrent des espaces sécurisés pour la détente.

Sur la terre ferme : randonnée et nature

Les abords du lac ne sont pas en reste. Plus de 80 kilomètres de sentiers balisés permettent de parcourir les rives à pied ou en VTT, offrant des points de vue spectaculaires sur les eaux turquoise. Pour les plus aventureux, une via ferrata installée dans les falaises du Regardoir propose un parcours vertigineux avec une vue imprenable sur le lac. Des belvédères aménagés sont également accessibles en voiture pour admirer le panorama sans effort.

Détente et contemplation

Pour ceux qui préfèrent la tranquillité, le lac de Vouglans est aussi un lieu de ressourcement. De nombreuses criques sauvages sont accessibles pour des pique-niques paisibles. Des croisières commentées à bord du bateau « Le Louisiane » permettent de découvrir l’histoire du lac et de ses paysages tout en naviguant sur ses eaux calmes. C’est une invitation à la contemplation et à la déconnexion, au cœur d’un environnement naturel préservé.

Cette double facette du lac, à la fois lieu de mémoire et espace de loisirs, impose une gestion rigoureuse pour garantir sa pérennité et celle de son patrimoine unique.

Préservation et découverte du patrimoine jurassien

Un équilibre fragile à maintenir

La gestion du lac de Vouglans est un défi complexe. Il faut concilier la production d’hydroélectricité, le développement touristique, la préservation de la biodiversité et la gestion de la ressource en eau, surtout en période de sécheresse. Les acteurs locaux, du parc naturel régional à EDF en passant par les collectivités, travaillent de concert pour maintenir cet équilibre fragile. La sensibilisation des visiteurs au respect de cet environnement exceptionnel est une priorité absolue pour que le lac conserve sa magie.

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Valoriser l’histoire sans la dénaturer

L’histoire des villages engloutis fait partie intégrante de l’identité du lac. Pour la transmettre, des initiatives de valorisation ont été mises en place. Des panneaux d’interprétation le long des sentiers racontent le passé de la vallée. Les croisières sur le lac évoquent systématiquement la chartreuse de Vaucluse et les hameaux disparus. Lorsque les ruines émergent, un effort est fait pour encadrer les visites, afin d’éviter le pillage et de garantir le respect de ces lieux de mémoire. Il s’agit de partager cette histoire poignante sans la transformer en simple attraction touristique.

Le lac de Vouglans, un symbole du Jura

Finalement, le lac de Vouglans est bien plus qu’une simple étendue d’eau. Il est un symbole puissant du Jura contemporain. Il incarne la capacité de l’homme à modeler son environnement, avec toutes les conséquences que cela implique. Il représente la beauté brute de la nature jurassienne, mais aussi la profondeur de son histoire et la résilience de sa mémoire. C’est un lieu où le passé et le présent coexistent de manière spectaculaire, offrant une expérience riche et multiple à ceux qui prennent le temps de l’explorer.

Le lac de Vouglans est une destination aux multiples visages. Derrière ses allures de lagon tropical se cache la mémoire poignante d’une vallée sacrifiée, dont les vestiges de la chartreuse de Vaucluse et du village de Brillat sont les témoins silencieux. La réapparition périodique de ce monde englouti lors des sécheresses offre un spectacle saisissant, rappelant que sous la surface de ce paradis des loisirs nautiques sommeille une histoire profondément humaine. Entre contemplation, sport et pèlerinage mémoriel, le lac jurassien prouve que les paysages les plus spectaculaires sont souvent ceux qui ont le plus de récits à nous confier.

Amélie

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